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Histoires d'Hô

21 novembre 2005

BIARRITZ : Carré Hermès

cas7wjeherm_s   Quand j'ai vu arriver ce type, j'ai tout d'abord cru à une erreur d'aiguillage de la part de ce monsieur. Incroyablement petit, nabot même, tout rond comme une bille, le crâne aussi chauve que la Lune, des lunettes à double foyer, une cravate de traviole sur son costard étriqué, l'air content de lui et transpirant à grosses gouttes. Mes deux collègues, David et Laetitia présents ce jour-là avec moi derrière le comptoir en marbre gris de la Réception, commencèrent, d'instinct, à ricaner. Ajustèrent cependant leurs sourires numéro un sur leurs visages impassibles tandis que peu experte encore, je commençais à glousser comme une poule à la vue d'un ver de terre qui n'en a plus pour très longtemps.

Le type s'affala devant nous, épongea son front dégoulinant du revers de sa manche en soufflant comme un phoque et déposa à ses pieds un énorme sac informe noir sans une once de discrétion. On avait de la chance, le début d'après-midi étant calme d'ordinaire. Notre trio s'avança de concert vers la barrique, qui nous adressa enfin la parole, sans un seul bonjour en préambule.

" Heu, j'peux y aller, là....??? J'suis pas en avance, pas moyen de se garer dans votre bon dieu de parking, votre chien de garde à l'entrée il a pas voulu !!"

Le chien de garde en question étant le voiturier de service, fort peu aimable en effet, nigaud comme pas deux et incroyablement bête de surcroit. Personne ne releva donc la remarque du type, d'une mortelle banalité. Par contre, où comptait-il aller comme ça ?? Il avait l'air de connaître l'hôtel comme sa poche, jeta un oeil circulaire sur le patio derrière l'entrée, avisant un grand monsieur assis de dos dans un fauteuil : "Mon client est là , grouillez-vous !!". La chef de Réception sortit le bout de son nez pointu de l'aquarium qui lui servait de bureau, opina de la tête. Bon, c'était apparement un habitué, libre de circuler dans nos murs. "Merci les jeunes, je repasserai vous voir !!". Laetitia et moi échangeâmes un regard inquiet .

Pendant près de 3/4 d'heure, je vis ce gros type se démener comme un diable auprès de son client immobile, et sortir des quantités de choses invraissemblables de son sac de voyage: tissus colorés, montres, cravates, portefeuilles et objets divers que je ne distinguai pas très bien depuis mon poste, mais qui ne manquèrent pas d'attiser ma curiosité. Pourtant des japonais infernaux m'accaparèrent pendant le même laps de temps, désirant un avion pour Paris en classe affaires pour le lendemain matin, le tout en passant par le meilleur restaurant de spécialités basques se trouvant en Espagne pour le dîner de ce soir.

Au bout d'un moment, le petit tonneau humain rougeaud revint lentement vers la Réception, l'air préoccupé, ses lunettes bancales sur son nez rond, sa chemise collée à son gros ventre mou pleine de plis. Il vint s'accouder près de nous comme à un bar, et je m'attendis à ce qu'il nous demande un truc à boire. Ce dont : "Z'auriez pas un peu d'eau, là ?" . Vite, on dépêcha le bagagiste qui s'ennuyait dans les cuisines de l'hôtel dénicher un verre d'eau, tandis que le gars posa son sac énorme sur le comptoir. Laetitia, déjà pas très grande, recula pour tenter d'y voir encore un peu. David, curieux, osa enfin poser la question qui nous démangeait tous :"Qu'est-ce que vous avez, là-dedans ?". Misère !! Le type n'attendait que ça. Il ouvrit son sac et vida son contenu sur le marbre. Et là, mes yeux novices dans le métier s'écarquillèrent : Dior, Balenciaga, Hermès, Cartier....une fortune en chiffons et bijoux épars devant moi. Le mec était visiblement représentant commercial pour ces marques, ou je ne sais quoi d'autre, et il était venu tenter de vendre son fatras à l'un de nos clients de l'hôtel, avec lequel il avait sans aucun doute rendez-vous. "Pfff, ça n'a pas trop marché, aujourd'hui......tous ces échantillons me restent sur les bras" soupira le type, déçu.

Ses petits yeux porcins s'éclairèrent brusquement derrière ses lunettes pleines de buée : "Vous en voulez ??....Tenez, mesdemoiselles, ça vous dirait, un machin comme ça, là, pour vous faire belles....??" Et il nous flanqua 2 carrés Hermès chacune dans les mains. Gratos. Bon, le Carré Hermès, pour une ex-gothique, c'est pas tellement mon trip, mais je n'étais pas encore folle, et je connaissai le prix de ces choses-là. Innaccessibles à une employée comme moi, et à d'innombrables autres personnes de classe moyenne. Alors je ne dis, rien, sauf "Merci", et fis glisser le carré dans mon casier. Il est d'un beau bleu sombre à motifs, unique au monde comme chaque Carré que fait la Maison Hermès, et j'en héritai, alors que je n'avais même pas demandé à en avoir un, alors que certaines femmes se damneraient, parait-il, pour en posséder. Laetitia réagit comme moi, silencieusement mais avec détermination , David récupéra au passage 2 cravates Dior.

Je ne le porterai jamais. Ce n'est pas mon truc de nouer ce foulard là façon "mémère" autour de mon cou ou de ma taille; je ne suis pas, et ne serais jamais une cocotte bcbg, mais j'ai dans mes affaires un Carré Hermès.

Et toc.

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21 novembre 2005

PETITE INTRO D' USAGE...

anim281Avant de poser mes valises, j'ai traîné mes guêtres. Avec plus ou moins de chance, en tant que stagiaire d'abord, puis en tant que "professionnelle" ensuite, entre Bordeaux, Biarritz et Bruxelles à bosser comme réceptionniste dans plusieurs hôtels 4 étoiles et 4 étoiles luxe; à regarder passer devant moi quelques échantillons savoureux d'humanité. Il ne m'aura fallu que 4 petites années, d'ailleurs, avant d'être écoeurée de ces individus riches à mourir et imbus d'eux-mêmes que j'ai vu défiler, aussi divers et variés qu'une colonie d'insectes huileux pris dans leurs propres toiles;des émirs et des stars de cinéma, des femmes délaissées et des hommes trompés, des enfants vêtus des plus grandes marques seuls à pleurer, des bébés abandonnés et chiens adoptés, des types étalant leurs dollars sous mon nez persuadés de pouvoir tout acheter, des épouses vengeresses et de pauvres mecs malheureux n'ayant que le mépris aux lèvres, bref des centaines de petites existences pleines de fric mais incroyablement tristes et creuses, avec pourtant, parfois, un immense rayon de soleil pour éclairer mes journées, quelques personnes extraordinaires d'humour et de présence, un sourire, celui qui en passant devant nous a su remarquer qu'on était là, en chair et en os, et qui a su s'arrêter pour échanger quelques mots, et parfois plus encore.

Les imbéciles, les malpolis, les prétentieux et les abrutis complets m'ont semblé plus nombreux à fréquenter les hôtels de luxe que les gens bien élevés. Les "bonjour" et les "merci" se comptaient sur les doigts d'une seule main au cours d'une semaine de travail. Les insultes par contre se sont ramassées à la louche. Et les dépassements d'horaires de travail aussi. Mais parfois cela en valait le coup, ne serait-ce que pour vivre toutes ces petites histoires et autres anecdotes qui ont ponctué mon quotidien de Réceptionniste, tant que j'ai supporté de le faire. Tout ce que je vais raconter est rigoureusement vrai, ce sont les aléas et autres bonheurs d'une vie de personnel hôtlelier, vu depuis le comptoir en marbre ou en acajou d'un hôtel où l'on descend parce que les chambres sont hors de prix et que l'accueil, parait-il, y est bon.

Un immense carton rouge aux pseudos "stars" que j'ai vues débouler, à celles qui ont oublié de quel milieu elles venaient et les bases les plus élémentaires d'une communication réussie entre deux êtres humains (ou considérés comme tels); mais par contre mon meilleur souvenir aux musiciens, les vrais, issus du milieu classique, qui connaissent mieux que personne ce que les mots "travail", "rigueur" et "discipline" veulent dire, et qui grâce à cela n'ont pas perdu une once de leur humilité ni de leur immense talent.

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